Mais je n’avais jamais eu de chien à élever (ou éduquer ou dresser, au choix). Tous les chiens que j’ai “connus” appartenaient à des amis, c'est-à-dire aux autres, et, évidemment, je ne les voyais, jouais avec eux, que ponctuellement.
Or, il y a six mois, on a eu la mirifique idée d’offrir un chien à queen mother (qui, soit dit en passant, n'avait strictement rien demandé). Lilou, une adorable Border Collie femelle, est ainsi donc devenue l’un des membres de la famille.
Queen mom partie en vacances — comme prévu de longue date — au-delà des mers pour ses congés annuels, je me suis retrouvé face à face avec cette nouvelle pensionnaire sans imaginer un instant la galère dans laquelle j’étais embarqué à l'insu de mon plein gré.
N’ayant aucune expérience en “élevage de chien”, mon premier réflexe a été d’adopter l’attitude que j’avais avec mes chats. Les chats, c’est relativement simple ; on leur montre la caisse une fois et ils sont propres ; on gendarme vaguement quand c'est nécessaire et ils comprennent pour la plupart à la vitesse de l’éclair ; le reste du temps, on fait des gros câlins-ronrons-gâtés-régressifs et ils vivent leur vie en vous laissant vivre la vôtre en toute indépendance. Le bonheur, quoi. Surtout pour un vieux con de vieux garçon comme moi.
Mais là, avec la mère Lilou, no way. Ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe. Vous me direz, si les chiens réagissaient comme les chats, ce ne seraient plus des chiens. Sans blague. Et ce qu'on ne vous dit pas non plus, quand vous adoptez un clébard, c'est que ça ressemble à s'y méprendre à un grumeau*.
Enfer et génocide, mais noyez-les tous jusqu'au dernier ! — Qui ça ? — Tous, vous dis-je !
Les grumeaux, je suis allergique. Je n'en ai pas fait, c'est pas pour me faire suer avec ceux des autres. Alors,
imaginez : un grumeau sur pattes qui n'obéit pas (je sais, c'est le principe même des grumeaux) ; qui se roule dans la charogne ou le caca ; mieux : qui mange du caca et — trop de bonheur — qui vient vous faire de grandes léchouilles juste après ; qui cherche sans cesse à s'échapper d'un terrain de jeu de 6 500 m2, même après de longues balades autour du village ; qui ne comprend pas que les voitures, c'est pas des copains ; qui tire sur sa laisse à vous démonter le bras, même avec le collier étrangleur récemment acheté en catastrophe sur les conseils d'amis propriétaires de chiens ; qui est hyperactif ; qui, le soir venu, demande à rentrer et dix minutes après, demande à sortir, et ainsi de suite à n'en plus finir, jusqu'à ce que des pulsions de meurtre, façon silence des agneaux un vendredi 13 sous le signe des griffes de la nuit, vous parcourent l'échine en vagues de frissons délicieusement horrifiques ; qui vous pourrit la terrasse en y déposant une quantité effroyable de bouts de bois, branches, planches, cailloux, pommes de pin, feuilles, boîtes de conserve, morceaux de plastique trouvés je ne sais où, et soigneusement dépiautés (enfin, sauf les cailloux), et généreusement éparpillés, et que le vent se charge d'étaler plus encore, quand la pluie n'en fait pas une immonde bouillie — et qu'il faut nettoyer tous les deux ou trois jours à moins de faire une croix sur la terrasse ; qui vous mine le jardin de belles cro-crottes bien moulées, qu'il faut régulièrement ramasser, de préférence pas le matin, à moins de faire aussi une croix sur ledit jardin ; et je vous en passe et des moins vertes.
Et encore, le pipi et le popo dans la maison, ça lui a passé. Enfin, on lui a fait passer l'envie. À grands coups de taloches sur l'arrière-train, de hurlantes hystériques, de museau plongé dans les cadeaux en question et d'expulsions manu militari à l'extérieur. Maintenant, la miss a (enfin !) compris : elle couine quand elle veut sortir. C'est même drôle : elle couine en reculant, les oreilles dressées. Tout un numéro, mais efficace ; dans ce cas, pas d'hésitation : hop, dehors. Au moins ça, c'est réglé.
Reste, entre autres petits ajustements, à solutionner cette irrépressible envie d'évasion hors du jardin — pourtant vaste de près d'un hectare. Hier, j'ai dû sévir après une énième échappée sauvage. Sévèrement. Sérieusement. Bon, je l'admets, je n'ai en général pas trop de peine à sévèrement sévir. Mais je ne sévis jamais hors de propos. Je châtie toujours très bien. Avec grand soin et application — je dispense des sévices de qualité, moi.
Il paraît que les chiens fonctionnent en meute et qu'ils obéissent au chef de meute. Avec un chien, on doit donc se comporter en chef de meute, être dominant. Lorsqu'on m'a rappelé ça, ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un aveugle — dommage pour la mère Lilou, j'ai un don inné (que je contrôle généralement en société) pour la domination.
Ceci dit, les choses s'arrangent peu à peu. Depuis la punition d'hier, comme par magie, nous filons le parfait amour. Ce n'est pas encore l'obéissance au doigt et à l'œil, mais ça commence à ressembler à quelque chose. Aujourd'hui, j'ai eu une paix royale. De toute façon, Lilou a intérêt à obéir, désormais. Sinon, je convoque en grande pompe Crystale et Brenda.
--------------------------------------------
*Grumeau : du latin populaire grumellus, “motte (de terre)” ; petite portion de matière agglutinée en grains ; masse coagulée et gluante.Autres acceptions courantes directement dérivées : chiard, moutard, morveux, rejeton, lardon, merdaillon, mioche, babouin, merdeux, morveux, crapaud, mouflet, moutard, gnard, morpion, petit-salé, trousse-pet. Etc., etc.