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Faire à nouveau blogonnaissance

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1er prix du concours organisé par Missblogdel[lien]

J’étais encore un peu néophyte en bloguinat — je terminais mon noviciat de blogue, si vous préférez. C’était il y a quelques années, je commençais tout juste à apprivoiser, aussi naïf qu’ébaudi, les captivants méandres de la blogosphère. J’en découvrais les vedettes (virtuelles), les foutriquets (pullulants), les talentueux (rarissimes), les têtes de lard, les obsessionnels, les spécialistes de la spécialité, les aliénés… Un univers pléthorique, dans lequel je débarquais un brin après la bataille, il faut bien l’avouer, mais qui ne cessait d’exciter ma curiosité.

J’avais déjà compris que les blogueurs ont tendance à s’agréger en communautés plus ou moins hermétiques, et qu’il convenait de commenter chez les autres pour espérer peut-être obtenir en retour des commentaires sur mon propre blogue. La plupart du temps toutefois, je me heurtais à un “casse-toi de là, t’es pas de ma bande” non formulé, c’est-à-dire un silence dédaigneux. Chaque nouveau commentateur était donc une source de plaisir et j’accordais en échange temps et attention à son blogue, quel qu’il soit — cette recherche d’un minimum de visibilité m’ayant parfois conduit, je m’en suis depuis rendu compte, à réaliser des compromis si ce n’est des compromissions sur la qualité. Quatre ans et des poussières plus tard, mon attitude sur ce sujet a évidemment fortement évolué.

C’est dans ce contexte qu’il est apparu. Il faisait vaguement partie d’un réseau dans lequel je venais d’entrer par hasard. Son blogue parlait théâtre et littérature, la plume était fine, l’orthographe impeccable. Nous avons échangé quelques commentaires et j’étais content d’avoir déniché — en quelque sorte — une personnalité sympathique partageant avec moi le goût du verbe, et du verbe juste. Mais, très vite après ces premiers contacts, son blogue s’est tu.

Les semaines se sont écoulées sans plus qu’aucun billet ne soit publié. J’ai d’abord posté un commentaire sur le mode “tout va bien ? en panne d’inspiration ?” Le silence perdurant, j’ai tenté de me renseigner auprès des autres blogueurs de notre petit cercle. Nul n’en savait davantage. Et puis, il en va ainsi des contacts cybernétiques, d’autant plus qu’ils sont nouveaux, j’ai laissé ce mystère en forme de point d’interrogation s’enfoncer dans les replis de ma mémoire et poursuivi ma petite vie de blogueur anonyme, non sans un léger regret.

Ce que je trouvais — et trouve encore aujourd’hui — fascinant, c’est la façon dont quelquefois de parfaits inconnus arrivent sur un blogue, sans connexion apparente. De fait, il y a généralement un lien, on ne l’identifie simplement pas tout de suite. L’inconnu qui, en l’occurrence, a un beau jour commenté l’un de mes billets tenait un blogue au titre énigmatique, mi-anglais mi-français. Tel un carnet de voyage, l’auteur y relatait son arrivée dans un lointain pays anglophone, situé à l’autre bout de la planète. Les chroniques étaient courtes, légères, mélancoliques. Elles ne précisaient pas la nature de ce séjour, elles saisissaient des anecdotes, des impressions.

La brièveté des deux événements, à la fois récents et séparés dans le temps, m’empêcha de les associer. Mon inexpérience y contribua sans doute aussi, et le ronron du quotidien, ses aléas. Un matin, je reçus un courriel de l’exilé de l’hémisphère sud. La surprise était totale. C’était lui, mon blogueur littéraire. En marge de nos sites respectifs, nous avons alors entamé une relation épistolaire. Il avait besoin de se confier. Il avait dû s’apercevoir, je n’ai jamais su comment, que j’étais en mesure de l’écouter, sans juger, et ainsi de le soutenir. Peu à peu, il m’a dévoilé les raisons de l’arrêt de son blogue précédent, de sa disparition brutale et la vérité de ses conditions de vie sur place. Son visa de touriste ne lui permettait pas de travailler, ses économies s’évaporaient. Il était dans une impasse.

Je l’ai aidé comme j’ai pu, avec des mots, quelques conseils, mon regard extérieur et un peu de musique, transférée par le biais d’une messagerie instantanée. La date de son retour en France approchait, il avait fini par rassurer sa famille qui vivait en province et l’attendait — il ne possédait plus rien que le contenu de sa valise, son ancienne existence était pulvérisée. Au moment où il devait atterrir à Paris, je devais être de mon côté en vacances en Camargue, mon pèlerinage annuel, programmé et réservé de longs mois à l’avance. Je ne pouvais pas l’accueillir.

L’idée était irrationnelle. Je la lui ai soumise spontanément. Il a hésité, par politesse, timidité, et finalement accepté. Il resterait quelques jours à Paris, chez des proches qui tenaient à le revoir, et prendrait le TGV pour Montpellier. Je l’attendais à la gare. Dès le premier coup d’œil, nous avons su que pouvions être amis. Il était souriant malgré la montagne de problèmes qu’il aurait à régler rapidement, joyeux, agréable comme les textes qu’il distillait sur le Net. Je lui ai offert une parenthèse suspendue, un avant-goût d’une région où il n’avait jamais mis les pieds, trois jours de plage et de soleil, fruits de mer et rosé glacé, chevaux blancs et sérénité.

Ensuite, nous avons pris la route en direction du Périgord, je l’ai déposé chez ses parents avant de redescendre vers Biarritz, où l’une de mes plus fidèles relations me recevait. Les promesses ont été tenues. Il a reconstruit sa vie, il a ouvert un autre blogue, il est devenu mon ami.


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